J'aurais pu rester dans ma petite bourgade ou le suivre à l'autre bout du monde. Je ne me reconnais pas. J'ai envie de lui crier mon amour, l’inonder de "Je t'aime" mais je me retiens. Nous ne nous voyons que depuis six jours. Je ne veux pas lui faire peur, le faire fuir. J'aurais pu le suivre peu importe la destination, simplement pour être à ses côtés, l'effleurer, le toucher, l'éreinter.
Il est si présent en moi et pourtant si absent. Il ne m'appartient pas. Que dis-je... nous sommes sensés être libres. N'est-ce pas ma valeur numéro une ? Maintenant, j'aimerais ne pas avoir à le partager, l'arracher à sa femme, vivre intensément, sans avoir à nous cacher. Pourtant, je n'insisterai pas. Je laisserai la situation évoluer comme elle se doit.
J'aurais pu le suivre au stage "marche & jeune" auquel il souhaite s'inscrire. Il m'avait même proposé un temps de l'accompagner et de m'y inviter. La réflexion s'étant elle-même immiscée, il m'avait fait part de sa volonté d'y aller seul pour mener une réflexion sur sa vie. Je n'insisterai pas, encore une fois.
Je m'aperçois tristement que je n'arrive toujours pas à m'écouter et que je suis incapable de savoir clairement ce que je veux. Je suis perdue comme souvent. Je l'aurais suivi avant tout pour être à ses côtés, pour que nous puissions vivre un amour libre, laissant les contraintes, la foule, le monde réel du moins le quotidien, loin de nous, pour nous retrouver ou tout simplement nous trouver. Je l'aurais suivi mais le risque n'aurait-il pas été de me perdre en chemin ? Je suis mais je n'impulse pas, en ce sens, je suis assez passive. Je ne suis pas la conductrice de ma vie, la bergère menant ses brebis au pâturage. Je suis une brebis. Je vais où l'on me dit, je me laisse mener. Il est important que je me reconnecte à moi-m^me, que je prenne des décisions en conscience. Il ne souhaite pas ardemment que je l'accompagne. Je n'insisterai pas. Je me recentrerai sur les désidératas. Avant ce fameux rendez-vous au café où nous avons passé la soirée à discuter et à boire plus que de mesure pour ma part - prémisses de rencontres magiques au bord de l'eau - j'avais décidé de marcher sur le Chemin de Stevenson.
Initialement, ce n'était pas ma première destination. Je souhaitais poursuivre le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Chaque année, je partais avec mon sac à dos harponné aux épaules. Je vivais 14 jours intenses à chaque fois, me laissant aller d'églises, de chapelles ou d'abbayes à rencontrer des personnes toutes différentes les unes des autres mais bien souvent au cœur pur.
Cette année a été bien mouvementée. Après avoir côtoyé pendant presque 23 ans le père de mes deux filles, à en perdre une part de mon identité, je me sépare - enfin. Les mois passés ont été difficiles. La séparation a été compliquée et la désunion reste encore une épreuve à traverser. La famille a éclaté. Mes rêves d'unité familiale ont sombré. Je dois me réinventer, en acceptant de me retrouver seule, face à moi-même. L'angoisse. Plus j'avance en âge, moins j'ai l'impression de me connaître. Oser vivre par moi-même et pour moi-même - sans en oublier mes filles pour lesquelles mon cœur bat plus que tout, être entourée de ma famille, de mes parents - mes phares dans la pénombre - ma sœur, ma bouée émotionnelle quand je déprime. Oser vivre, simplement, évidemment, totalement. Ne pas être dans le faire, du moins pas uniquement et accepter d'être, notamment en me réconciliant avec mon corps.
En ce mois d'août, il fait chaud même très chaud. Les températures culminent. Les nuits sont difficiles. On suffoque. Partir sur le chemin de Compostelle via la voie du Nord, seule, pendant trois semaines ne m'enthousiasme pas tant que ça. Je sais que je continuerai mon chemin et que j'entamerai prochainement ce périple. Maintenant, je sais que ce n'est pas le moment. J'ai besoin de partir, de m'évader, de me retrouver mais moins longtemps.
Le Chemin de Stevenson s'est rappelé à mon bon souvenir. J'ai repris entre mes mains un guide acheté il y a quelques années déjà. J'ai commencé à le feuilleter sans forcément le lire avec grande assiduité. J'ai envie de me laisser porter par la vie, me laisser surprendre. Aussi, la date de mon départ n'est pas clairement définie. Aucun parcours n'a été établi, aucune variante n'a été étudiée ni même découverte. J'ai regardé ce matin les trajets aller de ma bourgade au Puy en Velay. Certains sont très gourmands financièrement. Je chipote. En soi, je peux me permettre de dépenser 5€ de plus. C'est un principe. J'en regorge. Pour l'instant rien n'est figé, si ce n'est que je dois être revenue la dernière semaine du mois d’août pour la rentrée scolaire de mes filles qui sont pour le moment avec leur père.
JEUDI 15 AOUT 2024
Chemin faisant, les jours ont défilé et les aléas de la vie m'ont menée à arriver au Puy en Velay le jeudi 15 aout 2024 - pour les fêtes de l'Assomption. Le diocèse accueille le Cardinal Christophe Pierre, nonce apostolique aux États-Unis et Mgr Jean-Yves Riareux, Évêque émérite de Basse-Terre. Les deux jours ont pour thème : "Notre-Dame du Puy : apprenez-nous à prier !"
Le père de mes filles n'a pas daigné prendre de son temps pour aider sa grande à emménager dans son appartement à Clermont-Ferrand. Œuvrant pour les causes désespérées, j'ai donc laissé mon beau Romain, un jour plus tôt pour accompagner ma fille dans cette tâche. Mon père fidèle au poste nous y a amenées grâce à son Berlingo couleur bouteille. Typhaine dormant allongée à l'arrière du véhicule, entre ses cartons. Les jours ayant passé, ma préparation quant au Chemin de Stevenson n'a pas été plus approfondie. J'ai filé 4 jours et 3 nuits sur le chemin de l'amour avec mon bellâtre, périple entaché par un ex-concubin empli d'aigreur et une future ex-pacsée survoltée et blessée. Je tiens à préciser qu'ils ont acté oralement leur séparation et que je ne suis pas la cause de la rupture mais la conséquence de celle-ci, comme le dirait la sœur de Romain, que j'ai eu l'honneur de rencontrer hier dans le petit village de Lunel.
Il n'y a donc eu aucune préparation, que ce soit psychologique ou physique. J'ai tenté de me donner bonne conscience en allant dans un magasin vendant des articles de sport. J'ai essayé de nouvelles chaussures de marche. Le style "looké" a presque pu me faire croire que j'étais une pro, une grande sportive, mais il n'en n'est rien. Je suis "une grosse molle" qui prend très souvent l'ascenseur et qui ne prend pas le temps de s'occuper de son corps. J'ai hésité un moment à investir dans de nouvelles baskets. Le prix m'a freinée (159€). La bêtise d'acheter et de porter une paire totalement neuve aussi. Elles doivent être "cassées", se faire aux pieds. Il est important de les porter lors de plusieurs courtes sorties au préalable. Je n'avais plus le temps. Le vendeur m'a dit qu'elle tiendrait encore 2002 kilomètres. Il faudra qu'elle fasse 100 kilomètres supplémentaires. Elles commencent à se déchirer et le bout plastifié de la basket gauche se décolle. Au final, je n'ai rien acheté. J'ai confiance en la vie. Elles tiendront jusqu'au bout. Maintenant, je ne promets pas leur état après ces 272 kilomètres ! Elles auront été utilisées jusqu'au bout du bout. Une certaine satisfaction.
Après seulement 4h00 de sommeil, me voici levée à 5h20 du matin. J'ai du mal à ouvrir les yeux et à me dynamiser, pourtant dans 30 minutes mon père - Panou - sera dans sa voiture, trépignant à l'idée que nous puissions avoir une minute de retard.
Typhaine a dormi avec moi. Ma grande maison venant d'être vendue suite à la séparation, je me suis retrouvée dans un appartement de 30m2, dont la seule chambre doit accueillir mes filles et moi-même. Victoire est pendant tout le mois d'août chez son père. Ma grande - venant se se séparer de son chéri quelques minutes avant - s'est invitée pour la nuit. Roméo qui s'attendait à un retour non pas en fanfare mais très musical aussi, a eu à faire face à une ex-compagne très remontée. Malgré les sollicitations et les injonctions à disparaître de leur maison de ville, Roméo a fait face. Il est resté. Il a lu l'histoire du soir à son fils. Ils ont eu une conversation "entre hommes" puis il s'est installé pour dormir. Quelques secondes plus tard, il s'endormait comme une masse à ses côtés. J'ai tenté de résister pour le lire une dernière fois, pour entendre sa douce voix me susurrer des mots doux, à défaut de pouvoir le prendre dans mes bras. Mais il dormait. Après de multiples démarches administratives - nécessaires avant d'entreprendre le chemin de Stevenson - je me suis décidée à aller dormir. Déjà 1h00 du matin. La nuit s'annonçait courte. Elle le fut. Embarquée dans la voiture, j'ai peur d'oublier quelque chose. Bien évidemment, sur le moment, je n'ai pas idée de ce fameux bidule truc. Je ne tarderai pas à le savoir. J'ai complètement oublié mon bâton de pèlerine. En crapahutant dans le centre historique de la ville, j'hésite à m'en acheter un autre. Je n'en ferai rien. Peut-être est-ce un signe. Je verrai bien... Panou me laisse dans le centre-ville.
J'escalade un projecteur au sol, j'évite de nombreux câbles jonchés à même les pierres. Je m'assois au dernier rang. La messe a commencé depuis plus d'une demi-heure. A peine assise, il nous est demandé d'aider la paroisse, en se délestant de quelques pièces. Je prépare ma monnaie. Personne ne bouge. Deux hommes passent. L'un d'eux arrive à mes côté. Il ne me regarde pas. Je mets ma pièce dans sa panière au top de la technologie. Désormais, on peut faire une offrande via sa carte bancaire. Je suis espantée. L'homme continue son chemin sans mot, sans merci, sans regard. Une certaine humanité me manque souvent. Peu de temps après, on nous demande de communier ensemble. L'homme et la femme devant moi se retournent. Nous nous sourions brièvement et nous nous serrons la main. C'est le moment que je préfère. J'en avais été émue jusqu'aux larmes, lors des fêtes de noël, probablement parce que je me sentais terriblement seule, ma vie s'étant retrouvée éclatée, mon couple désagrégé. En cette période de joie, je m'étais sentie si seule et pourtant autour de moi de nombreux couples unis notamment par la foi. Une grande intensité émotionnelle avait emplie mon cœur. A l'église, je n'ai pas les codes. Je ne maîtrise aucun chant. Je me lève quand les autres se lèvent, je m'assois quand les autres font de mêmes. "Repartir dans la joie de l'esprit." Voici la phrase que je retiendrai. La musique est prenante. L'orgue s'exprime et exalte les notes. L'assemblée chante à l'unisson. C'est beau. Je suis calme, je suis bien, mais j'ai déjà mal à la voûte plantaire. Ça promet ! La messe se termine. Certains s'agenouillent une dernière fois avant de disparaître. La place est laissée aux touristes. J'entends les cloches sonner avec intensité à l'extérieur du bâtiment. Mais avant de sortir, je m'approche de la vierge noire à l'enfant. Elle est magnifique et surprenante. Elle me captive toujours autant. Je fais une photo. A côté de moi, une femme nommée Linda semble ravie de sa photo. Je l'interpelle pour la voir. Un faisceau lumineux se dirige sur la vierge. Elle se propose avec son mari Rémi de me l'envoyer. J'accepte. Nous nous saluons chaleureusement. Je sors. "Les bonnes choses s'attirent." Un "père" d'origine africaine parle fort non loin de moi. Il est entouré de femmes ayant la foi. Il rit et sa bonne humeur est communicative. Il ne cesse d'insuffler de la joie et répète régulièrement "Les bonnes choses s'attirent." Je veux bien le croire. Il s'en va et disparait accompagné de deux sœurs. J'écris sur mon petit carnet, assise aux bas des marches. Une sœur passe à mes côtés et me sourit. Les commissures de mes lèvres se lèvent aussi. J'écris encore un peu. Je me lève et m'en re-vais paisiblement au gîte d'étape. Dans le hall, deux tables recouvertent de nappes, accueillent des cailloux peints. Certains ont des messages comme "La vie est faite de petits bonheurs" ou bien "La bonne humeur, c'est le début du chemin". Dans une boîte circulaire en bois, une invitation est lancée : "un mot qui sera avec vous sur le chemin". Je ferme les yeux et je prends au fond de celle-ci un petit papier noir. Sur celui-ci est inscrit : "surprendre". Ce mot ne m'inspire pas vraiment. Je décide de tricher et d'en prendre un second. Celui-ci est plus évocateur : "prendre le temps". Il a dû être écrit pour moi. En plein dans le mille. Je me dis que jamais deux sans trois. J'en prends un dernier. Il m'invite à prendre confiance ou à faire confiance. La porte d'entrée sonne. Je vais ouvrir. Une jeune femme s'excuse. Son code tapé n'activait pas l'ouverture de la porte. Je décide de rejoindre ma chambre. Elle me suit dans les escaliers. Je m'arrête devant la chambre 15, au premier étage. Après avoir appelé mes deux filles, je correspond un moment avec quelques copains. L'heure avance. J'entame mon saucisson acheté pour le chemin. J'active la bouilloire. Je laisse infuser mon thé "Sunshine Godness" dont "les feuilles grandissent sous le soleil pour un goût intense" (Lipton). Je file au deuxième étage. Je prends un yaourt au frigo et je le saupoudre de flocon d'avoine et de confiture de coing. Je retourne discrètement à ma chambre. Un gamin allume la lumière du deuxième étage. Je me fais "goaler". Il me demande si je suis perdue. Impression d'être prise la main dans le sac. Je me demande sur le moment qui est l'enfant et qui est l'adulte. Je tente de me justifier. Je baragouine quelques mots et je lui souhaite une bonne nuit. Enfermée dans ma chambre, je m'enfile l'objet du délit puis file me coucher dans un vrai lit, même si le matelas creusé au centre laisse imaginer qu'il a dû faire son temps. 22h15, j’éteins la lumière, fenêtre ouverte, j'entends les basses en fond sonore du spectacle de Salve Regina auquel je n'ai pas eu l'énergie d'aller.
VENDREDI 16 AOUT 2024 - JOUR 1
6h00 du matin. Je me décide à me lever. Pas que je n'ai plus sommeil ou plus envie de rester vautrer dans un lit. Je suis crevée. Je n'arrive toujours pas à me régénérer. Je comprends désormais la nécessité ultime de prendre soin de la literie. Le creux au centre du lit est tellement prononcé que je me suis sentie aspirée toute la nuit dans les antres du matelas. De multiples réveils m'ont poussée à découvrir l'heure au fil de la nuit. Levée, ma vision est complètement brouillée. Depuis une année, je n'ai pas pris le temps de m'acheter des lunettes pour presbyte. J'essayais peut-être de ralentir le processus de vieillissement ou peut-être n'avais-je tout simplement pas le temps. Le fait est qu'à 6h30 du matin, je ne vois fichtrement rien à ce que j'écris sur mon petit calepin. Sortie de ma chambrette, je fil à la douche. Des bruits de pas font grincer fortement le sol en bois du deuxième étage. Un couple bâton à la main sort de la pièce à côté de la mienne. Je vais prendre la douche que j'aurais dû prendre hier, si je n'avais pas été atteinte d'une flemmingite aiguë. Je n'ai pas envie de sortir mon petit bout de savon de Marseille et de le retrouver par la suite coller à sa petite pochette en plastique. Je tente une entrée dans les deux douches à la recherche - qui sait - d'un gel douche oublié. Pas de bol. Je sors ma mini serviette très légère en micro-fibre qui ne sèche pas vraiment et qui n'offre pas de réelle satisfaction si ce n'est qu'elle ne tient que peu de place. Douche chaude au programme. De la moisissure est présente au haut des murs malgré le système de ventilation. Ça change de l’hôtel "luxueux" dans lequel je me trouvais il y a seulement quelques jours, au côté de mon bellâtre. Quelques instants après, je reviens dans la chambre. Le jour est presque levé. La fenêtre ouverte, le calme est présent. Il contre-balance l'agitation au sein du gite d'étape. Je décide de filer au petit déjeuner avant qu'il n'y ai plus rien à manger. Arrivée dans la salle de restauration, deux jeunes femmes sont déjà installées. Elles préparent leur sandwich et même leur petit sac, probablement pour le repas de midi. Elles ne disent pas bonjour et semblent ne même pas me voir. Pas envie de faire d'effort. Je ne dirai rien aussi. Je m'assois à la même table qu'hier. Fenêtre ouverte, le jour continue à se lever. Il fait bon. Ni trop chaud, ni trop froid. Affublée d'un short noir, je bois mon thé en écrivant de l'autre main. C'est calme. J'entends le moteur du frigo ronronner. Les femmes sont parties depuis 10 minutes environ. L'une d'elle a oublié son téléphone vers les céréales. Je ne fais pas l'effort de le lui faire remarquer. J'ai du mal à comprendre qu'on puisse faire disparaitre totalement une personne de son champ visuel. Quelques instants après, elle revient puis s'efface à jamais. Retour au silence. Mon thé à un nouveau message : "Offrez-moi à une personne à qui vous tenez". Je te boirai petit thé et pour te satisfaire, toutes mes pensées iront aux personnes que j'aime. J'ai du mal à me lever de ma chaise. Le déjeuner se prolonge. Je crois que je suis déjà la dernière. Je sens la procrastination retarder le moment du départ pour ne pas marcher et être éventuellement face à des difficultés au vu de mon grand entrainement.
Dans la chambre, je rassemble mes affaires. Je remonte à la salle des petits déjeuners pour jeter mes déchets et ramener mon verre à thé. Comme hier, je croise le jeune garçon âgé de 13 environ. Je l'interpelle. Il me dit qu'il vient de finir son chemin et qu'il rentre chez lui ce soir. Nous nous sourions. Je suis admirative. Il a l'air très gentil et bon. Il me souhaite "bon courage". Je le remercie, descends les escaliers et m'en vais. Le temps file mais comme le petit papier le disait, je dois prendre mon temps. Mais il faudrait tout de même se bouger un petit le popotin !!!
J'ai enfin réussi à partir. Je continue la montée à travers le poumon vert du Puy en Velay. Je m'entends respirer et les oiseaux jacqueter. Le sol est légèrement mouillé. Le chemin est constitué de pierres volcaniques. Je transpire déjà bien. Le soleil n'est pas apparu. Ce n'est pas plus mal. La ville s'éloigne et se dérobe sous mes pas. Chaque fois que je sors mon carnet est une occasion de faire une micro-pause. Je crois que je vais écrire 600 pages !:) Mon œil gauche va mal. J'y vois vraiment très flou. En effet, je ne suis pas uniquement presbyte mais j'ai l'honneur d'être aussi myope et astigmate mais par coquetterie, j'omets de porter mes lunettes. De toute façon, je ne les ai pas prise. Mon sac était trop lourd. Effectivement, la mauvaise foi se cheville à mon corps. Je pénètre dans le village de XXXXX. Quelques bruits légers notent une présence humaine. Je suis prise par la joie. Je suis heureuse de marcher ici et maintenant. Je m'arrête manger mes premières mûres au détour d'un virage. L'eau coule à une fontaine. Je continue sur un chemin goudronné qui a subit les affres du temps. Trois chevaux dans un champ - un blanc, un marron et un noir. La France est représentée dans sa diversité. Un écriteau m'indique que je traverse un espace naturel préservé par le conservatoire d'espaces naturels d'Auvergne. Je passe sous un tunnel me permettant d'éviter une route à fort roulage. Le chemin pierreux est jonché d'escargots. Je tâche de ne pas en écraser un seul. Paf. C'est le drame. L'un d'eux succombe sous mon pied lourd. Je m'en veux. Je suis un monstre. Excuse-moi petit escargot. Je t'aime. Je redouble de vigilance.
Peut-être serait-il utile que je me présente. Je m'appelle Emmanuelle Verdier, alias Ema. Je suis apprentie aventurière, apprentie de la vie. Je ne maîtrise rien mais j'ai la volonté de découvrir et d'expérimenter. A travers cet écrit, je vous embarque avec moi sur le chemin de Stevenson. C'est reparti, on continue.
Mon short a tendance à régulièrement remonter menant mes cuisseaux à frotter l'un contre l'autre. Régulièrement, je donne une petite impulsion pour le redescendre comme il se doit et m'éviter des plaques rougeâtres causées par l'irritation.
Au rythme où je vais, ce soir je n'aurais marché que 10 kilomètres. Pas grave. Même pas mal à mon Ego ! Je foule une terre d'un brun chaud comme peuvent l'être mes entre-jambes. Je me colle aux muriers. Un homme en tracteur passe sur le petit chemin. Nous nous saluons. Des mottes de foin sont posées délicatement dans les champs. Un joli couple souriant me dépasse. Je leur dis : "A tout à l'heure, peut-être !". Le ciel est gris. Certains nuages bas cachent les reliefs. L'agriculteur laboure son champ. Je croise une dame d'environ 70 ans avec ses bâtons de marche. Elle m'interpelle : "Un temps idéal pour marcher ! Vous allez vous régaler !:)" J'acquiesce et je souris. Je me sens bien. Je suis dynamique. J'ai le "moove". Ma cadence est rythmée. Au loin, j'entends toujours sourdement la nationale. Lecture de quelques messages WhatsApp. J'envoie trois photos à Roméo du Puy qui s'éloigne. Il me cite l'adage : "L'important ce n'est pas la destination, c'est le voyage". Un trailer passe accompagné de son boarder colley. Un marcheur emboîte le pas. C'est une jeune femme seule. Elle me salue et continue. Je laisse une certaine distance se créer. Pour l'instant, être seule ne me dérange pas. J'apprécie ce moment avec moi-même. Quelques personnes sont à contre-sens. Elles marchent légèrement. Je suppose qu'elles ne font pas le chemin. Le premier couple est désormais assis sur un banc. Face à eux, une croix. Elle lit à haute voix un livre. Il l'écoute. Ils sont paisibles et sereins. Un homme débroussaille. Je me touche le haut de mes cuisseaux graisseux. Ça bougeotte. Je m'arrête dans la zone résidentielle que je traverse. Un couple se dispute. Elle parle fort : "Si tu n'es pas content, tu n'as qu'à faire la bouffe !" Il lui répond : "Vu comme tu la fais !" Vive le couple, vive l'amour. Je reprends. Le couple du banc me rattrape. Pour le moment, je n'ai fait que 6,8 kilomètres. C'est très peu. Dans 3,2 kilomètres, je serai à l'Holme. Pour le moment, je traverse Coubon Volhac. Beaucoup de maisons neuves semblent s'y construire. Je passe devant un panneau qui m'indique que je franchis le 45ème parallèle. Je me dirige vers le centre du bourg. J'ai espoir d'y trouver un distributeur à billets. Trois personnes me doublent. L'afflux arrive. Je passe le pont qui surplombe la Loire. Quelques commerces ça et là mais pas de banque à première vue. Je me dirige vers l'église, déformation "Saint-Jacquienne". L'église Saint-Georges, léguée à l'Abbaye du Monastier-sur-Gazeille en 1090 ne nous laisse à admirer que la partie centrale de la façade. Le reste n'ayant pas subsister. Elle accueillera cette après-midi une cérémonie pour Marie-Thérèse qui est partie dans l'haut de là. Retournant en ville, en faisant dos à l'église, une illumination divine : un crédit agricole. Merci mon Dieu ! Je vais pouvoir m'offrir un bon Coca Cola glacé.
11h00 - Je suis toujours affalée sur ma chaise, en terrasse, pianotant sur mon téléphone et me délectant de ce fameux Coca zéro. Mon père vient de m'envoyer une potentielle opportunité immobilière dans mon village. Ça me fait râler car je viens de partir pour minimum 12 jours et je n'arrêterai pas ma marche. Comme dirait mes jeunes lycéens : "In Shallah". Je range mon pull encore humide dans mon sac, termine les dernières gouttes de ma boisson, réenfile mes baskets, replace mon sac à dos sur mes épaules.
Le soleil commence à poindre. Je vois que je ne change pas. Comme sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, je prends le temps de vivre.
2,1kilomètres de montée non stop jusqu'à l'Holme. J'ai chaud. Je transpire à grosses gouttes. Une petite brise est heureusement présente et caresse mon corps avec douceur. Je suis à 808 mètres d'altitude. Des milliers d'idées, de pensées, traversent depuis ce matin mon esprit, sans jamais aboutir à une réflexion plus construite. La cloche d'un village sonne au loin. Il est midi. Je bouge régulièrement les lanières de mon sac trop lourd, symbolisant le poids sur mes épaules, cette vie qui a tendance à me plomber par moment. Le soleil s'exprime désormais joyeusement. Je fixe l'horizon et je marche. Je repense à la citation de Roméo. J'ai du mal à marcher pour marcher tout simplement. J'ai tendance à tout ramener à la finalité, la destination finale. Simplement vivre ces instants de bénédicités, ces plaisirs que nous offre notre existence.
12h20 - Je daigne enfin commencer à boire dans ma bouteille d'un litre. J'entends Roméo me dire que ce n'est pas sérieux. Des gravillons s'insèrent dans mes chaussures montantes. Je ne sais pas comment je me débrouille. Je continue, tachant de les enlever en les poussant, de temps en temps.
Des vaches et des taureaux mâchent de l'herbe. Elles me fixent. Je les admire de loin. Un veau tête sa génitrice. Je passe à Archinaud et m'engage sur le chemin du Bois-Royer. Tous les marcheurs doivent faire une pause. Je ne croise plus personne. Quelques instants plus tard, je croise deux hommes d'une trentaine d'années. Samuel et Paul travaillent pour la Région, en Normandie. Ils vivent à Camp. Ils me proposent de déjeuner avec eux. Je décline. J'ai envie de marcher encore un peu. Le sac à dos vissé sur mes épaules, nous conversons ensemble dix bonnes minutes. Le soleil tape. Ils dormiront à Monastier-sur-Gazeillz, comme le jeune couple rencontré ce matin. Le trailer me recroise. Son chien le suit toujours. Grand sourire aux lèvres, nous échangeons succinctement sur nos destinations. Il repart au Puy. Je lui dis de filer pour ne pas casser son rythme. Il disparait. Je continue à manger des mures de ci de là, les chaussures remplies de gravillons. Je me résigne à les enlever. Flemme quand tu nous tiens ! Envie de m'arrêter. Ma voûte plantaire commence à me lancer. Déjà ! Mais aucun lieu ne m'appelle. Je ne cesse de rabaisser mon short. Je sens la partie interne de mes cuisses se frôler, s'exciter et chauffer. aïe !
13h13 - Il est temps de se poser mais le chemin tout droit est tristouille. Au bout, un couple se remet en marche. Je vais voir l'emplacement qu'ils avaient choisi. Assise sur une grosse pierre, face à moi un champ coupé aux herbes séchées, laisse place aux collines et à l'horizon. De nombreuses mouches virevoltent. J'entends du bruit dans la foret. C'est une personne qui plie ses affaires pour repartir en chemin. Je ne l'avais pas vue. Heureusement, elle ne verra pas ma lune. Je mange avec joie mon sandwich concocté avec trois vaches qui rit, ce matin, au gîte d'étape. Le dessous de mes pieds me lance. Je me couche par terre, sur ma micro-serviette désormais sèche suite au temps passé accrochée à l'épingle à nourrice maintenue à mon sac. Par gourmandise, je me coupe deux tranches de saucisson. Je regarde l'état de mes jambes. Je n'ai pas eu le temps de m'épiler. Je ressemble à un yéti. Ça promet ! Les mouches s'amusent à me piquer les jambes et les pieds. Ces garces font mal ! Je retourne mes chaussettes. Je me verrai bien dormir ici, ou plutôt ne pas repartir. Je m'enfile une dernière tranche de saucisson, m'hydrate un peu sors du sac un bandeau pour protéger ma tête du soleil, place un peu de crème solaire indice 50 sur mon visage et mes épaules, replace mes chaussettes, remets mes chaussures, range la serviette de bain, mon sweat et le saucisson. Je passe de la crème Nok aux entre-jambes.
14h15 - Il est temps de repartir mais avant je regarde deux petites vidéos envoyées par ma mini. Elles me permettent de rester connectée avec elle. En retour, j'adresse une capsule vidéo à mes deux filles. J'en profite pour lire les quelques messages de mon bellâtre qui part ce jour à un mariage avec sa futur ex-compagne. L'énergie sera bien différente.
Dans cette société de l'immédiateté, je suis tentée de me téléporter directement à l'arrivée mais ce n'est pas l'esprit de la marche. Elle se doit d'être lente, d'entrer en lien avec mon vrai-moi. Juste avant d'arriver à l'Herm, je croise quatre hommes positionnés dans un espace plus élargi. Ils jouent à la pétanque. Je leur souhaite une bonne partie. La bourgade est à 892 mètres d'altitude. Dans 3,4 kilomètres, je serai au Monastier-sur-Gazeille. Pour le moment, le GR430 - chemin de Saint Régis suit toujours le même itinéraire. Après avoir cheminé à travers le bois, j'ai poursuivi par un chemin de trail qui n'a fait que monter. Un beau terrain de jeu pour les sportifs. Arrivée au Mont, à 896 mètres d'altitude, je me pose à nouveau. Une table m'accueille. Je m'hydrate et je me plonge dans le guide que j'ai emmené dans ma besace : le TopoGuides du chemin de Stevenson. C'est calme. Je m'endormirais presque. Dans 2,2 kilomètres, j'arriverai à Monastier-sur-Gazeille. J'en serai alors à 19,3 kilomètres parcourus, encore loin des 25 kilomètres par jour que je me suis fixée. Un camping "L'Estrela" s'y trouve. Je ne sais pas si je m'y arrête ou pas. Je pense que je vais m'y poser. Y aller tranquillement, petit à petit et tenir sur la durée, tout simplement. Après un petit tout sur internet, je ne pense plus m'y rendre. 19,50€ pour planter sa tente dans un camping sans réelles prestations, je trouve ça trop cher, qui plus est que certains gites comme celui nommé "Stevenson" propose des nuitées à 17,50€. Entrant un peu plus dans le village, je retrouve un groupe dont je n'ai pas parlé précédemment, qui entamait la montée après le centre de Coubon. Ce groupe constitué de six personnes n'avait pas daigné me dire bonjour. Ils sont assis au café. Le ton est jovial. Nous commençons à discuter. Un fils d'une cinquantaine d'années fait le chemin avec son papa âgé de bientôt 87 ans. L'ami du père d'un certain âge a fait Saint Jacques de Compostelle en totalité. Il a mis un mois pous la partie française et deux mois pour la partie espagnole. Je leur apprends qu'un carnet d'étapes existe. L'ami m'informe que c'est la sixième fois qu'il fait le chemin et qu'il n'en n'a jamais entendu parler. Enthousiaste, il file avec le fils à l'office du tourisme, non loin. Ils en profitent pour acheter six carnets d'étapes, un pour chaque membre du groupe. Pendant ce temps, je reste seule avec l'homme aux 86 printemps. Il me dit qu'il m'admire et que j'ai bien raison de marcher seule sur ce chemin. Il me raconte sa vie. Ses yeux pétillent. Il a rencontré sa femme il y a plus de 65 ans. En 15 minutes, le coup de foudre les avait réuni. Ils se sont profondément aimés. C'était une femme dynamique et indépendante. Près de la frontière belge, il se posait régulièrement dans un lieu où il lisait "Apprendre à vivre et à penser" (1957-1958) de Jean Guiton. Il y voyait sa belle prétendante qui venait chercher du lait. Ils conversaient. Quelques années plus tard, leur amour était toujours aussi fort. Ils se marièrent. En 2011, elle fut atteinte d’Alzheimer. Il l'a accompagnée, aidée, soutenue. Son amour est resté indéfectible. Elle a dû entrer en Ehpad. Elle s'enfuyait. Un jour, elle s'est perdue. J'essaie de le rassurer et de lui dire que sa décision aussi difficile soit-elle est une décision d'amour. Accepter de la laisser pour qu'elle puisse avoir les soins nécessaires. Depuis 13 ans, il lui porte un grand amour et il ne s'autorise pas à partir loin d'elle. Il m'avoue avoir rencontré à nouveau "le grand amour". Je lui dis qu'il en a encore le droit, que c'est beau et qu'il est très "moderne" puisqu'il est possible d'aimer sincèrement deux femmes. C'est le polyamour. Je lui demande si ses enfants sont au courant. Il acquiesce. Je l'admire. Aimer aussi intensément un être toute sa vie, conserver des yeux emplis d'étoiles en parlant de sa femme, c'est beau. J'aimerais pouvoir parler ainsi de mon Homme et aimer avec autant d'intensité et de passion. Je file aussi à l'office du tourisme faire tamponner mon carnet d'étapes. Une fois fait, je retourne au café pour les accompagner et boire ma petite bière du soir. Le fils et l'ami sont à la douche. Il m'invite à son anniversaire le 22, si on se revoit. Ça me touche. Ils annoncent de la pluie pour 17h00. Il est 17h05. Je décide de continuer mon chemin. Un peu plus loin dans le village, je m'arrête dans un magasin bio m'acheter un demi pain de seigle. Il peut tenir une semaine. Il sera consommé avant. Lui faisant face, un petit bar. Je m'installe à l'intérieur. La patronne est assez spéciale. Je n'adhère pas particulièrement. J'en profite pour recharger un peu mon téléphone. Je m'en vais, un peu poussée à l'extérieure car elle souhaite partir et fermer le bar pour vaquer à ses occupations. Je file donc. Il pleut un peu. Je mets mon coupe-vent et je protège mon sac. Sur l'axe central un "Vival" m'invite à entrer. J'achète un paquet de cacahuètes, l'un de mes péchés mignon. Ce n'est pas en mangeant du saucisson et ces petites friandises que je maigrirais. Je sors du village. Juste avant de descendre sur la route, une chapelle. J'y entre. Elle est désacralisée. La propriétaire - qui a un autre centre d'art contemporain - me présente le travail des différents artistes. Je ne reste que peu de temps. Je ne sais toujours pas où je dors ce soir. Au bas du village, se trouve un camping. Il dispose d'une piscine. J'ai fait le choix de ne pas prendre de maillot, trop encombrant. Mon sac à dos est déjà presque en apoplexie. Je traverse un petit pont. Une feuille collée à un panneau indique que l'eau de baignade est de bonne qualité. Je me pose en contre-bas. Il n'y a que deux passants au loin. Je me déshabille. Je garde ma culotte. Je file à l'eau. Elle est agréable. En peu de temps, je ne suis plus collante. Ça fait du bien. Ce sera ma douche du soir. Je range mes affaires de pluie. L'orage n'a pas eu lieu. Je cache au fond du sac mes cacahuètes pour éviter d'ingurgiter tout le paquet. Assise, en train d'écrire, je ne veux pas trop bouger. Un jeune homme aux mouvements saccadés (trouble autistique, autres ?) reste de l'autre côté du pont. Je veux qu'il parte. J'ai l'angoisse d'être suivie et agressée. Il semble repartir vers le camping. Je le surveille, l'air de rien. Mieux vaut un peu de paranoïa que pas du tout. Je me décide à repartir.
Une belle blonde a posé sa tente à deux pas du chemin. Nous nous saluons. Grand sourire. Je continue. Quelques minutes plus tard, je trouve un lieu visible du chemin. Il est en légère pente mais plat. Un cercle de pierre permettant d'accueillir un feu est présent. Trois rondins de bois semblent faire office de siège. Je ne suis pas persuadée d'être dans la légalité. Je crois que je dois m'éloigner du chemin. Pas grave, je reste. Je décide de me couper deux tranches de saucisson et de m'installer dans la tente montée et installée en moins de 20 minutes. Une nuée de moustiques connait déjà parfaitement la saveur de ma peau et s'en sont délectés. J'ai posé mon saucisson et mon pain sur une branche d'arbre à 3-4 mètres. Ce n'est peut-être pas suffisant. J'espère que ça le sera. Je n'ai plus trop d'eau. Je dois veiller à y faire attention et à garder une réserve pour demain matin. Mon petit déjeuner sera constitué d'une pomme. C'est la fête ! Roméo m'a écrit. Je tiens profondément à lui. Il cite Clint Eastwood : "La plupart des gens meurent à 25 ans, mais on les enterrent à 75 ans". Il me joins un texte qu'il vient de voir à l'instant : "On ne meurt pas quand notre corps a cessé de fonctionner, on meurt quand on a cessé d'aimer la vie, de rire, de croire en nos rêves, d'utiliser nos talents, d'avoir des projets. Il ne suffit pas de respirer pour être vivant, il faut aussi arroser notre existence de choses qui nous rendent vivants !"
20h20 - L'intensité lumineuse faiblit. Bientôt l'obscurité prendra place. Je dois veiller à conserver de la batterie pour demain. Je ne tarderai donc pas à tenter de dormir. J'espère vraiment pouvoir y arriver. Cette journée a été très riche. Vivement, demain ! Vive la vie ! Vive le chemin !
SAMEDI 17 AOUT 2024 - JOUR 2
Je suis toujours vivante, tout va bien. Pas assez dormi, comme d'habitude - un grand classique. Expérience très intéressante réalisée hier soir. Cela fait des années que j'aspire à faire du camping sauvage seule. J'ai toujours eu peur des agressions et des bêtes sauvages notamment des sangliers. Dans la montée, à travers les bois, j'ai trouvé un "spot", un espace plat. J'y ai planté ma tente assez rapidement. J'ai écrit un peu. Puis, la nuit tombante, j'ai décidé de remettre mon téléphone portable en mode avion pour garder de la batterie. C'est essentiel. On ne sait jamais. Mon couteau était ouvert et ma bombe Lacrymo à mes côtés. J'ai veillé à ne pas trop boire d'eau pour pouvoir tenir les 8 kilomètres suivants, jusqu'au prochain village.
Dans ma tente, je ne perçois que des variations d'intensité lumineuse. Je n'ouvre pas à cause des moustiques. Tous mes sens me semblent anesthésiés si ce n'est l’ouïe. Celle-ci est décuplée. Je suis en alerte. Quelques oiseaux chantent, un chien aboie régulièrement et un âne brait au loin. Quelques grincements. La nuit tombée, je me dis que la peur d'une agression s'éloigne et laisse place à la peur des animaux sauvages. Je n'arrive pas réellement à dormir.
A 1h15 du matin, je décide de prendre un demi-comprimé pour m'assuquer. Je râle toujours quant à ma tente. Mon sac de couchage est tout moite. Il en est de même pour mon matelas de sol. C'est extrêmement désagréable. Je dors en short et T.shirt.
Le lendemain matin, je me réveille vers 7h30. Je suis déjà habillée. Parfait. Mon œil gauche ne va pas très bien. J'y vois très mal. Replier ma tente est compliquée. J'ai des difficultés à compresser les différents éléments pour qu'ils rentrent dans leur sac respectif. A 8h30, je pars enfin.
Marcher seule au petit matin, sans croiser quiconque, saluer les vaches, sentir de lourds cailloux sous mes pieds est un véritable bonheur, même si j'ai soif. J'ai mal géré mes 1L33. Hier, j'aurais dû recharger en eau, au cimetière. Deux corbeaux sur du fumier s'envolent. Le chant des oiseaux au loin m'accompagnent. J'hume l'odeur des champs.
Petite révélation du matin. Je me retourne et je vois un couple avec un chien assez près de moi. Intérieurement, je me compare. Je n'avance pas assez vite. Je me déprécie mais ça... je le savais déjà. Par contre, je fais un parallèle avec ma grande par rapport à ses études. J'essaie toujours de la pousser vers l'avant pour qu'elle fasse encore mieux. Ne pourrai-je pas tout simplement apprécier ce qu'elle fait déjà tout comme ne serait-il pas possible d'être fière de moi pour ma marche, dans l'ici et le maintenant ?
Je passe par Courmarcès et parle quelques instants avec un retraité bien dynamique qui a fait de nombreux GR. Je reprends. Au Cros, j'interpelle une fillette d'environ 10 ans. Elle a une bouteille d'eau à la main. Je lui demande où elle va la remplir. Elle me signifie que l'eau du lavoir est potable même si rien n'est précisé. Je remplis entièrement ma bouteille d'un litre et ma petite de 33cl. J'en profite pour boire cette eau très fraîche. Je recroise l'Ami. Il est à contre-sens. Il m'explique qu'il va garer la voiture plus loin et qu'il part ensuite à la rencontre du groupe. Il me reste 1,6kms avant d'atteindre Saint Martin du Fugères. Je commence à revoir les mêmes têtes. Ça fait plaisir. Je me pose à la boulangerie/épicerie/café. Je prends un "Minut Maid" à l'orange et une tartelette aux myrtilles. Le boulanger me déconseille de la prendre. Elle est encore congelée. Sa femme lui fait les gros yeux. Je le remercie et dis que le chef a raison et que ça m'évitera de râler. Je décide de prendre un pain au chocolat. Je vais aller beaucoup plus vite après !:) Des hommes sont posés au bar. L'ambiance est bonne. Tous les anciens du village défilent soit pour boire un café, soit pour acheter du pain. J'écris sur mon petit calepin en buvant mon jus d'orange et en me gavant avec ma viennoiserie. Il fait beau. Pourtant une fine averse tombe une dizaine de minutes. J'attends qu'elle passe et je file avec Hervé, arrivé il y a quelques minutes. Nous commençons à discuter et marchons un moment ensemble. Il a aussi commencé au Puy en Velay. Il a déjà marché sur plusieurs GR, cette année. Initialement de Roubaix, il vit à Paris et aime beaucoup cette ville. Il vient de vendre sa société de menuiserie aluminium. Il accompagne toujours les repreneurs. Désormais, il ne travaillera plus. Il n'est pas en âge d'être à la retraite. Je suppose donc qu'il peut financièrement se le permettre. En parallèle, il est thérapeute spécialisé dans l'hypnose et le chamanisme. Il est aussi passeur d'âmes. Je lui pose de nombreuses questions. Chaque matin, il tire son tarot. Ce matin il a tiré deux cartes. La première était l'hermite et la deuxième, le diable. Il m'explique que le mot diable vient de diablo qui en soit n'est pas forcément négatif. Il peut être porteur de changement, nous pousser à ne pas rester dans notre routine, en cassant les schémas neuronaux. Il me demande si je ne suis pas le diable. "Non monsieur, je suis de la force blanche !" Vision judéo-chrétienne. Il marche aussi en autonomie. Nous arrivons à Gaudet, à 774m. Le château de Beaufort n'est qu'à 700m. Je laisse Hervé. Il va partir à la recherche d'aliments pour se substanter à midi. Pour ma part, après seulement 2 kilomètres, je m'arrête à nouveau pour boire un Coca zéro. Je m'installe sur un transat, à l'arrière de l'hotel restaurant de la Loire. Je parle un moment avec la propriétaire. Elle accueille actuellement des amis et gère 13 enfants, sans compter les adultes. Elle a repris le lieu, il y a deux ans. Il appartenait à ses parents. Elle a fait de gros travaux de rénovation. Avec son mari, ils ont tout chiné. Tout a une histoire. Elle touche quelques mots à ses amis. Ils embarquent tous les enfants voir un homme au village d'à côté qui traie les vaches et produit ses glaces. Elle se retrouve seule avec le chien. Elle souffle un peu. Elle est fatigués. Elle travaille 7 jours sur 7 depuis début mars. Le rythme est intense jusqu'en octobre. Je suis seule dans le jardin, à l'ombre sous un arbre. Devant moi, un boxer s'étale de ton son long. Le temps file et j'ai l'impression de passer plus de temps assise qu'à marcher.
12h12 - Je m'en revais. 10 kilomètres au compteur en 4 heures. Une vraie petite glandeuse - égale à moi-même.
12h35 - Je suis toujours assise et toute la family débarque. Incorrigible ! Les gamins sont effectivement très agités. Je passe et j'admire le rocher et la Tour de Pipet. Un coq chante. Je retrouve Hervé, attablé. Il n'a pas trouvé de quoi de restaurer et vient de prendre un sandwich à l'hotel restaurant. J'enjambe la Loire par un pont et je m'éloigne. En contre-bas, un homme nage seul. Je me baignerai bien aussi, mais je dois vraiment avancer ! Je marche un moment sur la départementale 49. Les voitures sont face à moi. Ainsi, je vois les danger potentiel arriver. A chaque fois qu'une voiture s'écarte, je fais un signe de la main pour remercier l'automobiliste. La plupart, me renvoie celui-ci. Dans 800 mètres, j'arrive à La Faye. Une longue montée s'engage. Je gravis un chemin pierreux qui s'élève à gauche à flanc, dans la forêt. Montagnac s'offre à moi. J'en profite pour boire un peu. Je stoppe et m'écarte pour laisser passer un tracteur. Nous nous saluons. Hervé arrive à son tour. Je me suis posée sur un muret pour écrire. Nous repartons. A peine 10 mètres après, je retrouve le groupe de sept personnes. Je m'arrête avec Hervé. Ce dernier se présente. Je leur demande leurs prénoms. Guy est l'ancien, son fils se nomme Jérôme alias Rambo. L'ami a pour prénom François et les trois femmes se reconnaissent aux doux prénoms de Véronique, Line et Elisabeth alias Babeth. Deux femmes d'une cinquantaine d'années, croisées dans la montée pierreuse et qui se reposaient dans un champ sont à la fontaine. Les deux gardoises nous signifient que l'eau est potable. Je bois la moitié de ma bouteille d'un litre puis la remplis. Nous repartons, mais avant, je sors une pomme de ma besace. Je n'ai pas spécialement faim. Celle-ci me contentera pour le moment. Hervé file. Je me retrouve avec les gardoises. Elles me proposent de boire un café à Ussel. Bien entendu, j'accepte. Je m'enfile une part de gâteau au citro et au pavot. Il est très bon. Les deux marcheuses se nomment Anne et Christine. Elles sont amies et cousines éloignées. Elles se sont rapprochées lors des manifestations anti-covid. Christine a fait sa maison complètement autonome. Anne me fait connaître un nouveau mot : un réboussié. C'est une personne qui va à contre-sens. Exemple : tu me dis de passer par la droite, je ne t'écouterai pas forcément. C'est de l'occitan provençale.
Le groupe arrive. L'ami boit un café. Les autres l'attendent. Ils repartent. Anne m'offre ma part de gâteau. Merci !:) Elles repartent. Je lis une citation : "Le marcheur habite un paysage, il y est lové, logé par la répétition indéfinie de se pas..." NoNna - la propriétaire du café - ne sait plus d'où celle-ci est extraite. Dans le village, une vieille dame assise dans un transat, coiffée d'un chapeau de paille, lit sans son jardin.
Une citation de Robert Louis Stevenson est écrite sur un morceau de bois que l'on peut faire rouler. Il y est écrit : "Le voyage ! Je voyage pas pour aller quelque part, mais pour voyager. Je voyage pour le plaisir du voyage. L'essentiel est de bouger, d'éprouver d'un peu plus près les nécessités et les aléas de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation et de sentir sous ses pieds le granit terrestre et le coupant du silex".
Il me reste encore 8 kilomètres à faire, aujourd'hui. J'ai encore oublié de recharger mon téléphone. Anne et Christine sont un peu devant moi. Elles alternent le portage d'un sac de couchage. Comme moi, elles sont en autonomie partielle (pas de nourriture). N'ayant que 2 ou 3 jours avant de profiter du confort de gîtes, elles ont décidé suite à leur nuit passée au camping L'Estrela, de laisser leur tente pour s'alléger.
En repositionnant mon petit carnet dans le sac, je viens d'activer par deux fois ma bombe Lacrymo.
Je décide de me substanter. Je ne fais pas l'effort de trouver un lieu reculé. J'en profite. Personne devant, personne derrière. Je baisse mon short et un deux secondes, je suis plus légère. Mauvaise viseuse, mon mollet droit est impacté. Culotte à moitié humide, sensation très désagréable. Je continue comme si de rien n'était.
Le chemin jusqu'aux Bargettes était facile. Le ciel est gris. Quelques gouttes commencent à tomber. Je protège mon sac. Je reprends. Quelques minutes plus tard, je m'arrête à nouveau pour me vêtir de mon coupe-vent et protéger mon carnet. Je passe dans un tunnel au dessus de la route sur laquelle les voitures roulent au pas. Je regarde les lignes apparaître au passage d'un tracteur ratissant et aérant le sol à la couleur brun chaud. Des vaches tachetées sont toutes couchées. Je range mon coupe-vent. J'ai l'impression d'être au sauna à l'intérieur. J'en profite pour manger de grandes poignées de cacahuètes. J'ai mal sous les pieds. La distance et le poids se font bien sentir. Dans 3,5 kilomètres, j'arriverai. Ces derniers me semblent interminables. J'aide un scarabée à se retourner. Je laisse passer un jeune homme en moto cross. Il ne daignera pas me regarder. Je m'aperçois qu'une petite tique a élu logis, en haut, au centre de mon mollat gauche. Elle sera ma priorité en arrivant. Le vent se lève. La grisaille laisse place au soleil. Le ciel bleu accueillent des nuages qui semblent accessibles. Au loin, je vois le village de Bouchet-Saint-Nicolas, situé à 1228 mètres d'altitude. Je me pose un instant à l'auberge de Couvige. J'y commande une bière ambrée au doux nom de Modestine, la fidèle compagnonne de Stevenson, sur le chemin. Le vent est assez frais. Peut-être est-ce dû à mon immobilité. J'enfile une veste et je goûte cette bière artisanale locale, non filtrée et non pasteurisée. Des vaches passent en plein carrefour. Pas d'office du tourisme. Je suis sceptique pour la pharmacie. J'interpelle le jeune couple au chien assis non loin de moi et je leur demande s'ils ont un tire-tique en leur possession. Ils acquiescent. Ils l'ont au camping. Ils me le prêteront. Roméo m'appelle. Le responsable de l'auberge me signifie qu'il ferme. Je paie et je file à l'épicerie, en face. J'achète un petit fromage de chèvre et une bière nommée "La Vertueuse", à la châtaigne, de la marque "L'Ardéchoise". C'est une bière artisanale d'Auvergne. Elle est très bonne. Je pose mes affaires et je file voir le couple. Les voici tous les deux à s'évertuer sur ma jambe pour enlever cette tique toute petite. Elle finira par être ôtée à la pince à épiler, sans la tourner. Après un coup de désinfectant, il faudra que je sois attentive ces prochains jours et veiller à ce qu'un cercle n’apparaisse pas, auquel cas je devrais de ce pas prendre des antibiotiques. J'enchaîne sur le montage de la tente; j'en profite pour charger mon téléphone portable et dîner à même le sol. Je m'enquille l'intégralité du petit chèvre. La dame du camping souriante et joviale passe vers chacun d'entre-nous pour récupérer la somme due. Je ne paie que 7 euros et pour ce prix-là, j'ai de l'électricité, la douche chaude et peu d'angoisse. J'oublie de faire tamponner mon carnet d'étapes. Je m'en veux. Je file à la douche. J'y reste un long moment. C'est très agréable. Le camping est très calme et n'accueille quasiment que des marcheurs qui pour la grande majorité dormiront avant 21h00. Ce soir, je prendrai un cachet pour dormir ou plutôt un demi comprimé comme hier. Presque 28 kilomètres prévus demain. Ce sera une grosse journée. Dans un monde parfait, il faudrait que je parte à 7h00 et que je ne m'arrête pas toutes les 30 secondes ou pas une heure à chaque fois !:)
DIMANCHE 18 AOUT 2024 - JOUR 3
Je me réveille à la lueur du jour. Il est 6h30. Mon réveil sonne dans 50 minutes. Je reste encore un peu à flaquer. Puis, je décide de m'activer. Ma tente est totalement mouillée. Il a bien plu cette nuit. Avec mon Donormyl et mes boules Quies, je n'ai rien entendu. Je plie mes affaires. Je m'aperçois que j'ai oublié ma deuxième tenue (short et T.shirt) à l'appartement. Je vais donc très prochainement sentir la rose.
Je ne déjeune pas si ce n'est un reste de pain de seigle, sur le chemin. Le petit couple au chien vient de partir. Je les suis dans les ruelles, en espérant qu'ils me mènent au début du chemin. J'ai cru comprendre que celui-ci passait peut-être par la sculpture en bois représentant Stevenson.
Je m'arrête. Le couple n'est plus là. Attentive, je perçois un panneau indiquant Lados. C'est parti pour 6,8 kilomètres. Au bord du chemin, de nombreux bleuets. Ça me rappelle ma maison d'enfance. Sur le chemin bien noir, assez large, je foule le sol à bonne allure. De part et d'autre, le paysage se dessine. Au loin, je vois un petit point vert pomme. C'est un marcheur qui a placé sa protection anti-pluie sur son sac à dos. Le ciel est bas, les nuages sont chargés, le ventest frais. J'entends des voix au loin. A 1136 mètres, au Amargiers, je tourne à droite. Il ne reste plus qu'1?,3 kilomètre. C'est aussi le chemin de Régordane (GR700). Je passe devant le pont de la Castier, restauré en 1989. Mon petit point vert marche quelques mètres avant moi. J'entends le vent balayer les feuilles des arbres. Après le lavoir de la Fontanille je me pose au bar restaurant "La Bascule". Je prends mon petit pain au chocolat et un thé noir. Monsieur Goudet me l'amène. A l'intérieur, des habitués. Deux tables sont prêtes pour accueillir probablement les personnes du gite. J'apprends qu'Alain Delon vient de s'éteindre. J'échange quelques mots avec mon amoureux. Je profite des toilettes et de ce merveilleux papier toilette. Je m'amuse avec un chaton très joueur. Je discute avec les hommes au bar. L'ambiance est joviale. J'oublie presque de payer avant de me raviser. Je me recharge et je m'en vais. Juste sortie, j'enlève à nouveau mon barda. L'air est frais, je n'ai pas chaud. Je m'habille chaudement en mettant mon sweat. Je passe devant la fontaine et le lavoir de Grabille. Des champs à perte de vue, de luzerne, blé et maïs.
Je repense à mes retours en terre aveyronnaise, après chaque périple fait sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. A chaque fois, j'avais envie de fuir, de repartir, de faire du moonwalk - non pas que je n'aime pas mes enfants mais une impression de ne pas être à ma place, de revenir de manière imminente en déphasage. La dernière fois, c'est-à-dire l'année dernière, je raccordais Saint Jean Pied de Port - via les Pyrénées - dans l'optique de prendre la voie du Nord sur le Camino espagnol. J'ai ouvert la porte de la maison, sac accroché au dos. Daniel - mon ex-compagnon - ne m'a même pas regardé. Il a continué ses occupations dans la cuisine. Mes filles m'ont sautée au cou. Il a daigné tourner sa tête et poser son regard sur moi et m'a simplement dit : "Bonjour". Aucune question, rien, nada, queutch.
Une jeune fille passe, casque enfoncé, en moto cross. J'aime beaucoup l'idée de cette adolescente, libre de ses mouvements, connectée à la terre.
Je me demande ce que je suis venue chercher sur le chemin de Stevenson. Pour moi, il n'y a pas de hasard. Le livre de la vie est écrit.
J'arrive à Jagonas - 1041 mètres d'altitude. Le soleil me salue. Une brise s'abat toujours sur mon visage. Les nuages se dissipent.
Besoin de me retrouver, de me trouver ? Réel besoin de me connecter à la terre, d'être moi, le reconnecter à la source, aux éléments.
Je suis heureuse de me sentir en vie, honorée de sentir le soleil me caresser. A u camping "Au delà des nuages", un message gravé sur un grand panneau de bois indique : "La détermination ne fait-elle pas partie de la réussite ? Si." Le jeune couple au chien me dépasse. Nous prenons rapidement de nos nouvelles. "Vous allez bien ?" "Oui, merci, et vous ?" "Parfait !" répondai-je. Les randonneurs arrivent en force. L'ami repasse en sens inverse. Un goût de déjà vu. Des boissons fraîches sont à disposition dans des glacières en échange de deux euros. Je refais mon chignon en marchant et place mon bandeau. Je me sens tout de suite plus sportive. Je passe à Arquejol. Je descends dans le vallon de la Mouleyre. Après la petite montée, je m'assois à même le sol. Je bois - enfin - enlève mon sweat et place mes sandales de marche. Je n'oublie pas de sortir mes cacahuètes. Je vais terminer ce paquet oh combien trop petit.
Je regarde mes messages. Ma mère a écrit. Je n'ai pas vraiment coupé le cordon. Son message est le suivant : "Oui je vois t'as raison tu as campée dans la forêt. Tu es en retard pour marcher. Combien tu fais de jour. n'en fais pas trop hier titi a mangé avec nous a midi aussi. bonne marché de mille bisous" (suivi de 3 pouces et de 2 cœurs verts). J'aimerais qu'elle arrête de me véhiculer ses peurs et de vouloir me contrôler. J'ai l'impression qu'elle voudrait que je reste dans un bocal à formol, que ma vie soit si plate qu'on pourrait en crever. Je sais qu'exprimer ses peurs est sa manière de me montrer son amour mais je voudrais qu'elle m'encourage à être moi-même et qu'elle soit tout simplement fière de la femme libre qui tente de déployer ses ailes pour vivre.
Je passe sous une ligne sous haute tension. Des vaches sont dans le pré, juste au dessous. J'entends l'électricité qui grésille. Je déteste. Je m'éloigne. A contre-sens, une jolie brunette chante. Nous nous saluons. Quelques instants après, je me surprends à chanter :
Chante la vie chante
Comme si tu devais mourir demain
Comme si plus rien n'avait d'importance
Chante, oui chante
___________________
Comm'un voyou comm'un fou comm'un chien
Comme si c'était ta dernière chance
Chante oui chante
Tu peux partir quand tu veux
et tu peux dormir où tu veux
Rêver d'une fille
Prendre la Bastille
Ou claquer ton argent au jeu
Mais n'oublie pas
___________________
Chante la vie chante
Comme si tu devais mourir demain
Comme si plus rien n'avait d'importance
Chante, oui chante
___________________
Fête fais la fête
Pour un amour un ami ou un rien
Pour oublier qu'il pleut sur tes vacances
Chante oui chante
Et tu verras que c'est bon
De laisser tomber sa raison
Sors par les fenêtres
Marche sur la tête
Pour changer les traditions
Mais n'oublie pas
___________________
Chante la vie chante
Comme si tu devais mourir demain
Comme si plus rien n'avait d'importance
Chante, oui chante
___________________
Me voici d'écouter sourire aux lèvres, bout d'herbe séchée entre les dents, dansant plus que marchant cette chanson de Fugain.
Depuis très longtemps, je ne croise plus personne. Le bruit des oiseaux, du vent, de mes pas. Rien de plus - et mes pensées qui divaguent. 1 1237 mètres, à La Fagette, plusieurs groupes assez silencieux, mangent avec une belle vue dégagée. Je continue. Il ne me reste plus que 2,1 kilomètres jusqu'à Pradelles. Je me pose à "La Brocante gourmande". Leur slogan : "Fait avec amour, chine avec passion". Le couple qui tient ce lieu est charmant. Je décide de prendre la formule et de me délecter d'une bonne salade de quinoa et de mozzarella. A la table d'à côté, l'ami est assis en compagnie de la belle blonde et de la jeune femme en chair. A ma gauche, deux hommes d'un certain âge savourent une glace artisanale à l'abricot/Romarin. Le petit point vert pomme est la belle blonde. Chacun repart sans me dire au revoir. C'est un peu triste mais c'est ainsi. L'un des deux hommes commencent à parler avec moi. Il tient les chambres d'hôtes 'Terre d'accueil" sur la même place.
Je me suis arrêtée de nombreuses fois à Pradelles lorsque je revenais de Suisse quand j'y vivais. J'y buvais parfois un café. Mon ex beau-frère a une maison de village, mais je ne sais pas vraiment où elle se situe.
L'homme du gite revient. Il me propose son beau tampon. C'est un âne qui rit à gorge déployée, un peu comme "La vache qui rit". C'est parfait ! Je ne le déplacerai pas vers l'office du tourisme. En plein soleil, j'apprécie sa présence lumineuse et chaleureuse. Je m'enfile une glace à la châtaigne avec des petits morceaux. Je termine par un thé au citron. Devant moi, un couple d'une trentaine d'années. Ils remontent sur leur vélo affublé de sacoches. Petites pensées pour mon amoureux, féru de vélo. Peut-être un jour serons-nous à leur place... En attendant, il est temps de repartir. Je passe devant la Fontaine du Melon qui doit son nom au "melon de pierre" qui la surplombe. Pendant des siècles, ce fut le seul point d'eau à la disposition de la population intérieur de l'enceinte de la ville fortifiée, aujourd'hui considérée comme l'un des plus beaux villages de France. Je passe par le très beau portail de la Verdette et le lavoir pour aller découvrir l'église paroissiale "Notre Dame de Pradelles".
"Bénie sois-tu Reine des Monts, O vierge de Pradelles,
Avec amour nous t'acclamons, nous restons fidèles".
J'entre au sein de l'église. J'y retrouve le premier couple rencontré. Je les salue et me replace sur le chemin. Je passe devant la maison où naquit Jean Baudoin (1594-1650) qui fut un académicien français nommé par le Cardinal de Richelieu.
Ce village qui semble laid et insignifiant quand on le traverse en voiture est vraiment très beau et empli d'histoire. Je passe sous le portail de Besset - porte sud de la cité de Pradelles. Au bas de la rue basse, j'arrive sur le lieu où fut découverte en 1512, la statue de la vierge miraculeuse de Notre-Dame de Pradelles. Robert-Louis Stevenson a écrit, en 1878 "qu'elle faisait bien des miracles quoiqu'elle fut en bois". Je ne pourrai pas visiter notre Chapelle de Notre-Dame car des grilles laissent la percevoir mais elle n'est pas accessible qu'entre 16h00 et 18h00 lorsque les bénévoles de l'AFANDP sont présents.
Je passe devant la maison de retraite. Un homme d'une cinquantaine d'année est assis avec deux grand-mères sur un banc, à l'entrée du lieu. Il me salue. Je fais de même. L'une des deux personnes âgées dit à son fils : "elle n'a même pas dit bonjour !" Je m'arrête et bien fort je les resalue. Une conversation s'enclenche. Lorsque je m'en revais, la vieille dame dit : il y en a quand même qui sont gentils"; J'ai le sourire. Je continue.
A l'espace de jeux, quatre personnes jouent à la pétanque avec une vue magnifique en arrière-plan.
L'arrivée à Langogne se constitue d'une longue descente facile, sur un sol sablonneux où des éclats de Quartz laissent à penser que des milliers de diamants s'y amoncèlent. Aucun randonneur rencontré de Pradelles à Langogne. Seulement une grand-mère se promenant avec sa petite fille de 10 ans environ. Accompagnés d'un très gros chien blanc, elles ramassent les plus beaux cailloux. La fillette me dit que sa mamie en a les poches remplies mais pas elle. Elle a tout compris !:) Au sol, je vois une capsule en céramique. Elle semble y être bien incrustée. Il y est marqué : "A. Julien. Orléans". Cela m'intrigue. Qu'est-ce ? Un hommage ? Une personne qui marque son passage par la mise en terre de ses capsules ? Je fais de multiples suppositions en continuant mon chemin.
Avant d'arriver sur la dernière partie de la pente, je m'arrête pour m'alléger. Pour ne pas salir mon bas, je prends la serviette en papier récupérée à cette occasion à "La Brocante Gourmande". Pour éviter les tiques, je m'éloigne des herbes. Tout est réfléchi. Je fais ce que j'ai à faire. Au même moment, une voiture descend une route non loin. Je stoppe net, je remonte précipitamment mon pantalon. Résultat : mon bas est bien mouillé et mes chaussures tachetées. Opération technique à améliorer. C'est tout un art. Impression de comprendre les bébés à la couche mouillée. Comme si de rien n'était, je repars. Ce n'est pas comme si c'était la première fois ! La fin de la descente se fait par une route goudronnée. Ce n'est pas très joyeux.
Je pénètre dans Langogne. Je passe devant la chapelle du couvent, la chapelle des pénitents, la Tour du seigneur. Je suis le panneau "centre historique". Au passage, je demande à deux hommes où se trouvent l'office du tourisme pour faire tamponner ma carte d'étapes. Le premier me dit que le deuxième - qui a habité naguère au cœur de la ville - sera plus amène de me répondre. Ce dernier vient d'entrer dans une habitation. Je m'approche pour lui poser la question. Je comprends que ce sont les toilettes publiques. Il est à l'urinoir. Je me décale. Il continue à me parler probablement le zizi à l'air. Il ne sait pas où est situé l'office du tourisme. Je demande alors si le centre historique est bien un peu plus bas. Il me dit que ce n'est absolument pas le cas et que je dois remonter vers la chapelle du couvent et tourner à gauche. C'est le chemin du GR. Je repars donc dans ce sens. Je suis la signalétique rouge et blanche qui symbolise les chemins de grandes randonnées. Je m'aperçois en haut de la rue, que je quitte complètement Langogne. Je n'ai quasiment plus rien à manger si ce n'est une pomme prise chez les sœurs et un morceau de pain donné avec ma salade de quinoa. J'oublie que le moment qu'il me reste mon saucisson. J'hésite à m'aventurer beaucoup plus loin et de ce fait m'éloigner de la ville. Je veux manger ce soir. Je regarde pour la première fois l'application Mappy. Celle-ci m'indique un camping au pont de Braye, rue du Pont Vieux, à Langogne. A seulement 400 mètres. Je redescends donc la rue. Je n'avais pas vu ce camping en pianotant sur internet lors de mon repas à 14h00. Pas convaincue, mais je vais tenter. Je descends assez mollement. Un groupe de jeunes fêtards m'interpellent. Ils me demandent ce que je fais avec mon gros sac à dos. Je leur explique que je me dirige vers ce fameux camping. Ils sont sceptiques. Pour eux, il n'existe pas. Ils me proposent de m'emmener en voiture. Je refuse en tant qu'extrémiste. Je ne prendrai aucun véhicule le temps de mon chemin. Ils sont très sympas et rigolards. Les deux nénettes sont très chous. Félicia a 29 ans. Elle est typée, fine et très belle. La blonde a la coupe au carré s'appelle Elodie. Ils la surnomment Milou. Elle a 40 ans. Elles charrient l'un de leur pote nommé Mika. J'apprendrai par la suite qu'il s'appelle en réalité Mickaël. Quand je vois qu'il me dragouille - sa bière à la main - je dis clairement qu'il ne se passera rien car j'ai quelqu'un dans ma vie. Il me dit qu'il n'est pas dans son état normal. Je crois comprendre qu'il est sous cocaïne et probablement aussi sous alcool. Les filles sentent le cannabis. Ils me proposent d'aller faire une pétanque avec eux et de partir voir un concert juste après. C'est sympa mais je suis explosée. Je viens de me faire 30 kilomètres et je me suis levée à 6h35. J'ai plutôt envie de manger et de trouver mon camping. Ils me proposent de dormir chez eux. Je ne suis pas à 100% rassurée. Je ne voudrais pas passer à la casserole cette nuit. Félicia tente de me rassurer. Elle est à l'étage juste au dessous si j'ai le moindre problème. Je finis par accepter en me disant que je suis complètement Fada. Mika me montre les différents étages. Au deuxième, c'est l'étage des enfants. Mika a une adolescente de 16 ans. Elle a invité une copine, alors couchée quand il me fait la visite des lieux. Cette amie me dit en rigolant qu'elles ne sont pas lesbiennes. Je leur réponds que ça ne m'a même pas effleuré l'esprit. Je leur dis que j'ai moi-même une fille âgée de 17 ans. La visite se poursuit jusqu'au dernier étage. On dirait une maison de grand-mère restée dans son jus. Un certain désordre y règne. Aucune rénovation n'a été faite depuis fort longtemps, pourtant la bâtisse n'est pas vilaine en soit. Le dernier étage sera le mien. La chambre proposée semble ne pas avoir été utilisée depuis fort longtemps. Du plâtre tombé des murs est écrasé sur le vieux sol en bois. Des toiles d'araignées entourent la fenêtre. Il n'y a pas d'électricité. Le bouton poussoir date de Mathusalem, bien loin d'être conforme aux nouvelles normes. Le matelas me semble être en aussi bon état que celui des sœurs. Je ne peux m'empêcher de penser que je suis tarée. Je laisse mon sac à dos dans la chambre et je redescends avec Mika. Ils sont au salon, deux étages au dessous. Ils sont partir à la pétanque. La porte d'entrée est toujours ouverte. Nous descendons touts ensemble. Félicia me montre puis m'explique pour les derniers mètres où se situe la seule boulangerie ouverte un dimanche jusqu'à 19h00. Je la trouve facilement. Malheureusement, elle est fermée. Étant déjà passée par là, je décide donc d'aller boire ma bière vers l'église., au bar Saint-François. En arrivant sur la place, une vision venue du ciel m'interpelle. Deux jeunes mangent des kébabs géants avec des frites. Cette magnifique manifestation divine, me pousse à les interpeller pour savoir où je peux acheter ces mets succulents. Juste à côté. J'entre dans le snack. Un jeune homme très sympathique m'accueille. Je lui demande ce que les jeunes ont pris : "un standard". Je dis que je souhaite absolument les copier. Ça le fait sourire. Me voici quelques minutes plus tard, attablée en terrasse, à manger comme un goret. Le beau Romain m'appelle. Je continue à manger en toute discrétion. J'ai froid. Je finis par rentrer à l'intérieur, le téléphone harponné entre ma tête et mon épaule portant avec les deux autres mains, mes mets et la carafe d'eau accompagnée de son verre. Ma conversation finie et mon kébab:frites aussi, je paie. Un autre jeune de 22 ans, me raconte l'histoire du lieu. En 2001, son papa avait acheté ce snack. En 2013 (2012 ?), il mourrait. Il avait fait une promesse à son père. Un jour, il reprendrait le lieu et poursuivrait l’œuvre de son père. Des opportunités dans la restauration étoilée se sont présentées à lui mais il a décidé de revenir dans sa ville natale pour honorer sa promesse. L'accueil a été fort sympathique. Je le leur signifie, puis je m'en vais en grelotant, rejoindre la maison du 25.
Devant la porte, je fais une photo du bâtiment et de la porte d'entrée au cas où je me fasse découper en rondelles. Je les envoie à mon bellâtre. J'entends des personnes parler à l'intérieur. Je suppose qu'ils sont revenus. Ils sont au salon. Mika et le "mari" de Félicia jouent à Mario Kart sur le poste de télévision avec les enfants de Félicia. Cette dernière, toujours aussi jolie s'est changée pour la soirée. Milou est aussi présente. Les filles tentent de speeder les garçons. Le concert va imminemment commencer. On me repropose si je souhaite venir. La partie finie, Mika me montre le fonctionnement de la machine à café. Je lui signifie que je n'en bois plus. Il part alors à la recherche des thés. Au fin fond du placard, il sort de l'étagère la plus haute, trois assiettes et dit à Félicia qu'il a trouvé celles-ci. Je vois un peu de poudre blanche sur le bord de la plus visible. Je fais le parallèle avec ce que j'avais cru comprendre précédemment : c'est de la cocaïne. Les deux acolytes se parlent en code pour que les enfants au salon ne comprennent pas. Felicia ouvre la porte du placard. Derrière, elle est cachée. Elle prend l'assiette posée près du four micro-ondes et snife la poudre. Elle me demande si j'en veux. Je réponds par la négative en précisant que je ne fume même pas. Elle me dit alors : "Je sais que ce n'est pas bien". J'essaie de relativiser pour ne pas la culpabiliser. "Ce n'est ni mal, ni bien. Chacun fait ce qu'il veut." Je fais la fille "cool" mais je ne suis pas très à l'aise. Ils se pressent tous pour y aller. Je vois Félicia assez speed mais toujours aussi souriante. Elle me dit que si on ne se revoit pas, elle est ravie de m'avoir rencontrée. C'est une jeune femme solaire. Je me demande ce qui a pu lui arriver, quelle est son histoire de vie, ce qui l'a poussée à consommer cette drogue dure. Ils descendent et me font tous les deux la bise. Ils remontent. Mika me prend dans ses bras et me soulève avec une facilité déconcertante. Je ne bouge pas - une vraie poupée de cire. Il me fait la bise, une bise plus appuyée. Il me dit qu'il est tactile. Je n'entre pas dans le jeu et fait la naïve. Je leur souhaite une bonne soirée. Je leur dis qu'ils peuvent ramener les enfants plus tôt s'ils le souhaitent. Je dormirai mais si les gosses ont le moindre soucis, je suis là. Félicia dit en rigolant: "Fais remonter les gosses !:)" Ils finissent tous par partir. Me voici dans la maison seule en autonomie. Mika s'occupaient de chambres d’hôtes. Il accueillait des personnes. Il apprécie recevoir et aider. Il aime quand sa maison est remplie d'invités. Ils reviennent vers 23h00. Félicia couche les enfants. J'informe ces derniers que je suis tout en haut, au dernier étage. S'ils ont besoin de quoique ce soit, je suis là. Peu de temps après, ils insistent. Me voici à l'arrière de la Clio 3. C'est la miss qui conduit. Ma ceinture est plus que mise. Direction le bar "L'Oasis" au bord du lac de Naussac. Ils ont vu la première partie. Il en reste encore deux autres. Arrivés, le concert vient de finir. Il reste peu de personnes - des habitués. La population présente est très BABA Cool., assez alcoolisée et/ou défoncée. Ils se connaissent tous. Il y a très peu de femmes présentes. Hormis Félicia, Milou et moi, il ne reste que la propriétaire et une autre. Tout le monde fume à l'intérieur. J'ai les yeux qui se ferment de plus en plus. Ils me brûlent. Je tousse beaucoup. La fumée m'attaque la gorge. Je discute avec tout le monde. L'essentiel des hommes sont soit serveurs, soit dans la restauration ou dans la pâtisserie. Mika me fait même danser deux rocks. Heureusement qu'il fait tout. Je me laisse guider. Félicia m'offre mon verre de vin blanc. 1h00 du matin, Mika décide de conduire la voiture de Romain - présent lorsque je cherchais mon camping - en compagnie de Félicia à l'arrière avec moi. Ils me ramènent puis partent faire une after. A 1h30 du matin, je monte me coucher en espérant arriver à dormir. Je mettrai mon réveil pour 8h30.
LUNDI 19 AOUT 2024 - JOUR 4
Quand ils sont arrivés cette nuit, ils ont fait un boucan d'enfer. J'avais fini par prendre un demi comprimé de Donormyl. Je me voyais passer une nuit blanche aux aguets. J'avais l'impression qu'ils étaient en train de péter la table en bois. Mon ouïe était en alerte. Je pensais aux enfants qui dormaient. Peur qu'ils montent notamment Mika. J'avais poussé les portes pour qu'elles grincent et me réveillent.
Le vent est glacial. On se croirait en octobre. Je commence à marcher. L'avantage est que je suis vraiment sur le chemin - aucun détour. A un arbre, un ballon argenté de fête foraine git dégonflé.
Je repense à Félicia. J'avais écrit qu'elle était solaire. Elle peut l'être mais elle a aussi toute une part d'ombre. Certains l'appellent la sorcière. Elle peut avoir un côté très pestouille. Elle s'exprime très bien. Elle est captivante, magnétique. Elle peut se semble t-il soulever des groupes, être une leader, une influenceuse.
Sur la route, deux hommes que je ne connais pas me doublent. Peut être font-ils un autre GR. Une femme avec un coupe-vent jaune fluo passe à contre-sens. Après une partie goudronnée, je commence un chemin sablonneux légèrement en pente. Un homme vêtu de bleu court à vive allure avec son chien, une femme emboîte le pas quelques mètres après, un Vttiste concentré dévale la pente.
Je repense à Félicia. Elle a connu beaucoup d'hommes dans sa vie et malgré son jeune âge elle semble maîtriser le sujet. Elle n'est pas très positive quant à mon histoire avec Roméo. Elle me déprime un peu. J'ai envie d'y croire. Elle me dit très justement que je n'ai besoin de personne, que je n'ai pas besoin de chercher l'amour à travers une autre personne, que tout est en moi. Elle estime aussi que tous les hommes sont câblés de façon identique. Un être masculin qui va mal dans son couple depuis plus d'un an, en relation amoureuse avec sa partenaire depuis 13 ans sera très probablement sincère amoureusement mais une fois la bulle d'oxygène amenée, s'en ira.
Roméo me téléphone, ce matin. Il regarde des appartements pour vivre seule avec son fils de 7 ans. Il a très mal dormi et à 4h00 du matin, il a pris un Donormyl. Quel copieur ! Peut-être l'effet de la pleine lune bleue de cette nuit.
10h20 - Je passe par le village de Saint-Flour-de-Mercoire, situé à 1049m. Le temps est toujours gris et l'air très frais. Sur la droite, une petite salle de spectacle "Au théâtre de l'Arentelle". Je rentre et je visite. J'aurais bien bu un petit thé. Il me tarde vraiment de pouvoir me poser au chaud et de déjeuner autre chose que mon morceau de pain à moitié sec graillé sur la route, ce matin.
Je passe encore sous une ligne à haute tension. Elle grésille, comme d'habitude. Je déteste toujours autant.
La vie et ses impératifs administratifs me rattrapent : le canapé de ma fille et les éternelles problématiques de la vendeuse, mon père qui me relance pour rentrer le code pour l'immatriculation de la voiture, etc.
La jeune femme un peu grassouillette me rattrape. Elle a bien marché depuis Pradelles. Elle se nomme Babeth. C'est un diminutif d'Elisabeth, mais personne ne l'appelle ainsi. Elle est charmante. C'est son premier GR; Elle a décidé de le faire il n'y a que deux semaines. Elle est accessoiriste plateau pour le cinéma. Elle vient aussi de se séparer et vient de retrouver l'amour. Comme tous les hébergements sont complets, elle doit faire 36 kilomètres aujourd'hui - c'est énorme !
Une coquille d’œuf vide se trouve quasiment entièrement au sol à l'orée du bois. Celui-ci est enchanteresque, empli de mousse. Des tables en bois sont installés. Non loin, un écriteau explique la vie de Stevenson et fait un focus particulier sur les sapins de ce bois. Des petites pousses de ci de là tentent leur chance aux pieds des arbres. Le soleil commence à se faire une place. J'arrive à Sagnerousse. Une femme, quelques maisons et quatre tracteurs plus loin, je continue. Fouzilhic, deux bâtisses de chaque côté du chemin.
Le mardi 24 septembre 1878, Stevenson marchait en ces lieux. I l y erra longtemps. Un panneau nous en explique la raison. Il aurait erré dans cette zone à champ magnétique perturbé. "Le champ magnétique terrestre constitue une couche non uniforme de 70cm environ d'épaisseur qui ondule au dessus du sol. Cette couche est perturbée par la présence de failles et de ruissellements en sous-sol. Tantôt cette électricité devient puissante, tantôt elle s'effondre, au point de perturber le propre champ magnétique qui enveloppe le corps de tout être vivant. Et ici, la perméabilité entre l'homme et la nature a été accentuée par le calme et le brouillard, par la tombée de la nuit, par la proximité de l'équinoxe, et par les pieds trempés de Stevenson qui avait beaucoup pataugé". Le panneau nous rassure en nous disant que nous traversons ces lieux sans encombre, mais tient à resouligner que c'est sur cette portion d'itinéraire que Stevenson a le plus souffert.
Je m'arrête pour boire un peu. Je n'ai rien ingurgité depuis hier soir. Il est 13h00 et j'ai approximativement marché 15 kilomètres. J'en profite pour me faire quelques rondelles de saucisson. Je garde ma pomme de secours. Enfin arrivée à Cheyland l'Evêque, il me tarde de boire la bière artisanale promise il y a fort longtemps sur un petit écriteau. Je passe devant la mairie. Je leur demande s'ils ont un tampon avec Stevenson. Absolument pas, juste un tampon très insignifiant, sans aucun intérêt. Je lui demande où boire cette merveilleuse boisson. C'est au refuge de Moure, juste à côté mais il n'ouvre pas avant 30 minutes. Je n'attendrai pas. Je recharge ma bouteille à la fontaine, enfile mes sandales et m'en revais, déçue. J'en bavais déjà... Je veux ma bière ! Il faudra attendre 11,5 kilomètres de plus. La vie est trop dure. Caliméro se remet en marche.
Je croise François qui attend le groupe. Ils dormiront au seul gîte du village "Le Refuge de Moure". Christine y sera aussi
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